Un skateur au café de Flore

Sortir de l’habitude, quitter la routine, oublier le quotidien pour se laver de toutes ces mornes médiocrités mécaniques qui jonchent les perpétuels recherches des uns et des autres, dans cette même ville, dans ce même quartier, de notre même génération. Se débarrasser des inévitables refus, se débarrasser des incontournables barrières. Déblayer le noyau familiale de ces caractères immuables, de ces relations sensibles toujours similaires. Rompre les attitudes fermées pour des motivations constamment les mêmes. Retrouver de la fraîcheur, de l’étonnement, de la nouveauté, une surprise, un horizon, une perspective positive, une ouverture rationnelle sur le monde, une proposition acceptable. Guérir de toutes les luttes muettes et intestines de nos gesticulations personnelles, effacer le sempiternelle rouage machinale d’un comportement prévisible, aboutir enfin à une lueur humaine, une sagesse vivante, un dialogue réel. Dépasser le stade du pouvoir d’achat, franchir le cap des potentiels trésoriers et vraiment incarner sa personnalité affranchie de mimétisme. Construire cette osmose entre l’action et la pensée, écrire encore que skater est juste l’audace et sa beauté. C’était mon intention en arrivant au café de Flore, métro Mabillon, Paris sixième, rêvant d’un instant suspendu hors du cauchemar ambiant. Souffler, respirer sur le boulevard St Germain, effleurer une légende, approcher le mythe. Retrouver un sentiment de sérénité cohérent entre quelques sessions de glisses et leur rédactions, humblement, simplement, vraiment. C’est ce que j’apportai à cet établissement comme tant de grands écrivains avaient apportés à mon identité. La terrasse, presque bondée à l’heure du thé, n’offrait que quelques places discrètes. Disponibles entre les rangs de clients serrés contre les tables rondes et les chaises d’une sorte de rotin, j’allai pouvoir m’installer. Envoûté par ce monde, l’escouade des serveurs m’accueillit solidement, à la mesure de la qualité du lieu. L’un d’eux me questionna sur mon envie, je lui dis souhaiter prendre un chocolat chaud, accompagné d’une unique pâtisserie. Il m’installa à une table ou deux sièges étaient vacants. J’avais un peu de chance, sans avoir eu à patienter debout. Entre l’entrée de la salle principale sur la devanture, derrière la terrasse donnant sur la rue, j’étais en train de m’attabler dans la verrière, entouré par le passage des serveurs et une table de deux jeunes septuagénaires parfaitement élégants, presque aristocratiques. Tout autour, une fois assis confortablement, je notai la présence d’une élite de personnages parfaitement habillés, eux aussi, tout droit sorti d’un film de Woody Allen, lingés, distingués par une classe véritable, mieux qu’une érudition, une sagesse assurée. Un cosmopolitisme également souriant, donnait à partager un lieu peuplé par des esprits d’horizons très différents. Ma chemise blanche mal repassée n’était pas à la hauteur. Mais, dénué d’une quelconque honte inappropriée, je sorti mon manuscrit « une glisse libre » et le posa sur ma table sans manquer aux mondanités. Sans rougir, sans faillir, ni fier, ni anxieux. J’étais là, savourant un chocolat hors du commun, accompagné d’un mille feuille d’une recette rare et délicieuse. J’avais presque l’impression d’une même dangerosité qu’avant de partir surfer, avant de partir skier, avant de partir skater. Dangerosité à l’idée d’amorcer une conversation, érudite, argumenté ou philosophé. Je touchai presque un moment de bonheur, évitant ici ou là, quelques obstacles convenu d’une lutte des classes survenue. Mes deux voisins, avec qui je n’avais échangé qu’un modeste, mais indispensable mot prévenant de salutation, réveillèrent ma plénitude brutalement. Détruisant mon romantisme d’un travers indélicat, anéantissant ma distanciation fougueuse de toute mes glisses les plus redondantes, ruinant la beauté d’un repos que j’essayai de préserver, loin, très très loin du monde des brutes et des putes, malheureusement j’entendi l’un dire à son ami, tel un chien se mettant à aboyer, au sujet d’une autre cliente :

  • Dis donc, et celle là, t’as vu si elle est bien carrossée…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *